Repenser les liens entre Bruxelles et son port : un enjeu d’aménagement pour la zone du Canal
Kristel Mazy
Repenser les liens entre Bruxelles et son port : un enjeu d’aménagement pour la zone du Canal
Les relations entre les villes et leurs ports sont complexes. Bruxelles n’y fait pas exception. Au fil de l’eau, différents paysages se dessinent : industriels, voire post-industriels, urbains très densément peuplés, semi-naturels, en cours de désertion ou de mutation vers d’autres affectations. La zone du canal est caractérisée par une grande fragmentation, à la fois fonctionnelle et morphologique.
Une multitude d’acteurs convoitent et transforment ce waterfront bruxellois, notamment pour promouvoir un retour vers la ville. Ces actions prennent diverses formes : rénovation urbaine, spéculations immobilières purement privées, partenariats public-privé, éventuellement multifonctionnels. Les friches industrielles sont des opportunités pour créer de nouveaux morceaux de ville. Mais, en milieu urbain, les ports et leurs alentours ne sont pas seulement soumis à la forte pression foncière des autres activités urbaines, ils rencontrent également un intérêt renouvelé des acteurs du transport et de la logistique pour le redéploiement du fret fluvial. À Bruxelles, le bord de l’eau, fragmenté dans ses fonctions et ses évolutions, est donc au cœur de multiples pressions.
La fragmentation de cet espace et le caractère divergent de son évolution sont renforcés par une tardive et timide prise en compte de la zone portuaire comme partie intégrante de la ville. L’absence ou du moins la très lente émergence d’un plan d’ensemble pour cet espace spécifique se traduit concrètement par une relative absence de régulation ou d’arbitrages à l’échelle de la zone. En fait, l’essentiel des mutations se fait de manière parcellaire, projet par projet.
La logique par projet traduit une approche de l’action urbaine qui a émergé au cours des dernières décennies et apporte à l’urbanisme des outils de l’économie et du management, axés autour des concepts de flexibilité et de polyvalence. La logique de projet dans un contexte d’incertitudes croissantes démultiplie les relations horizontales entre groupes d’acteurs et institutions. Dans ce cadre, le projet propose une démarche transversale et globale, remettant en cause les logiques sectorielles, au sens de fragmentation des tâches et des fonctions urbaines, et les rapports parfois institutionnalisés, voire hiérarchisés entre acteurs. Parallèlement, les logiques de régulation et d’arbitrage marquées par les plans fondés sur l’expertise technique et sectorielle et l’emboitement des échelles (Région, commune, quartier) s’affaiblissent.
Les effets de l’approche urbanistique par projet dans la zone du canal sont questionnés dans le numéro 110 de Brussels Studies par Kristel Mazy, Docteure en Art de Bâtir et Urbanisme, actuellement chargée de cours à la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université de Mons. Elle illustre ici son analyse au travers de deux espaces représentatifs des évolutions urbanistiques contemporaines : Tour et Taxis et Biestebroek.
Les résultats obtenus montrent qu’à travers sa matérialisation, la logique de projet participe à reproduire les coupures fonctionnelles de l’ère industrielle. Il faut toutefois souligner qu’au travers de ce type de processus, de nouveaux cadres de dialogue ville-port apparaissent. Mais l’analyse spatiale et temporelle des mutations des interfaces ville-port au travers de cas bruxellois concrets montre que, dans la pratique, l’introduction de la démarche de projet agit peu en faveur d’une reconnexion effective entre la ville et son port. La logique de projet, appliqué de manière trop parcellisée, aurait même tendance à accélérer le processus de déconnexion. Dans les cas étudiés, les coupures fonctionnelles semblent se reproduire. La matérialisation des projets aboutit rarement à la création d’une véritable polyvalence spatiale qui pourrait pourtant être une piste pour une meilleure cohabitation ville-port.
Il peut donc y avoir un écart significatif entre les intentions affichées, les dynamiques et les résultats concrets. La zone du canal évolue, dans un contexte de pression foncière, au contact de deux formes d’économie, productive et résidentielle. La césure entre ces deux formes d’économie s’accompagne de représentations divergentes et de rivalités à propos du devenir de cet espace. Cela contribue à entretenir la dichotomie ville-port que le dispositif de projet tente de dépasser, mais visiblement avec de grandes difficultés.