VIENT DE PARAÎTRE – Numéro 115
Michel Hubert, Eric Corijn, Julie Neuwels, Margaux Hardy, Sofie Vermeulen, Joost Vaesen
Note de synthèse BSI – Du « grand piétonnier » au projet urbain : atouts et défis pour le centre-ville de Bruxelles
Envisagée depuis la fin des années 1990, annoncée en 2012 et effective depuis le 29 juin 2015, la piétonnisation des boulevards centraux, de la Place De Brouckère à la Place Fontainas, constitue incontestablement le projet urbain le plus important de la dernière décennie pour le centre de Bruxelles. Dans un contexte qui sera rapidement marqué par les attentats de Paris (et le « lockdown » de Bruxelles qui s’ensuivra) et de Bruxelles, ainsi que par de multiples fermetures de tunnels autour du Pentagone, le projet et sa mise en œuvre provisoire seront décriés pour leur impact sur la mobilité, sur la qualité de vie de quartiers environnants, sur le chiffre d’affaires de certains commerçants, ou encore pour leur manque de concertation publique.
Plus qu’un simple aménagement de l’espace public, le « piétonnier » touche de multiples dimensions et échelles de l’évolution de la ville. Il est porteur d’opportunités majeures pour le centre-ville, mais aussi pour la Région de Bruxelles-Capitale et son aire métropolitaine. Projet engageant pour l’avenir, il mérite que le débat puisse rapidement évoluer de la polémique à la réflexion constructive et dépasser le strict périmètre du « piétonnier ». C’est dans cette optique que les chercheurs du Brussels Studies Institute se sont mobilisés dans le cadre du Brussels Centre Observatory (BSI-BCO), un observatoire multidisciplinaire et interuniversitaire qui étudie l’évolution du centre-ville et entend l’accompagner. L’équipe de coordination de l’observatoire (Eric Corijn, Michel Hubert, Julie Neuwels, Margaux Hardy, Sofie Vermeulen et Joost Vaesen) livre dans le numéro 115 de la revue scientifique Brussels Studies une première synthèse de ses travaux, appuyée sur les contributions de près de 20 chercheurs, par ailleurs disponibles in extenso sur le site internet du BSI-BCO.
L’examen d’expériences menées en Belgique et à l’étranger montre que les piétonnisations peuvent transformer fondamentalement et positivement l’espace urbain en agissant sur ses dimensions sociales, environnementales, économiques et culturelles. Cependant, les chercheurs soulignent d’emblée que la réussite de tels projets ne va pas de soi. Elle peut notamment être menacée par la fragmentation institutionnelle, par des jeux de rapports de forces, par des manquements dans les outils de gouvernance déployés ou encore par des ambigüités dans les objectifs poursuivis.
S’appuyant sur un certain nombre de constats issus de la littérature scientifique et des connaissances spécifiques au cas bruxellois, leur synthèse explicite les quatre principaux défis auxquels est confronté, selon eux, le projet de rénovation du centre-ville. Il s’agirait (1) de compléter la planification spatiale en agissant sur l’immatériel et en accompagnant mieux les ambiances et les activités sociales, commerciales et artistiques qui prennent place dans le centre-ville et, plus particulièrement, sur le piétonnier ; (2) d’insérer le projet dans une vision de développement territorial multi-échelles et de mieux le connecter aux différents plans (locaux, régionaux, métropolitains) relatifs à la mobilité, l’environnement, le commerce, le logement, etc. ; (3) de rassembler davantage autour du projet en améliorant qualitativement information et communication, mais aussi participation et coproductions ; (4) de confirmer le changement de paradigme escompté en explicitant et en mettant en débat public le projet de ville qui le sous-tend, tout en procédant sans plus tarder à sa mise en œuvre.
Vu l’ampleur et la multiplicité des enjeux, des acteurs, des instruments et des échelles d’action impliqués, l’urgence est, selon les coordinateurs de l’observatoire, à l’amélioration de la gouvernance de ce grand projet urbain. En particulier, ils préconisent ainsi la mise en place d’une structure opérationnelle transversale au sein de la Ville, coordonnée par un Intendant dont la légitimité et l’autorité sont reconnues par tous ; l’organisation de rencontres structurées avec les acteurs de terrain ; et la création d’une « chambre de qualité » qui, composée d’experts reconnus et de représentants des différents niveaux de pouvoir impliqués (Ville, Région, Beliris,…), veillerait au respect des objectifs définis et à la qualité de la mise en œuvre du projet.
Cette méthode est appliquée avec succès depuis plus de dix ans dans de nombreuses villes européennes, dont Amsterdam, Anvers et Zurich… Alors pourquoi pas à Bruxelles ? Les récents changements politiques à la Ville sont peut-être l’occasion, si chacun y met du sien, d’insuffler une nouvelle dynamique à cet indispensable projet de rénovation du centre-ville de Bruxelles…