« Close to You. How to reconnect people in cities? » Nous poursuivons l’examen des enseignements issus du FORUM 2021 dédié aux liens sociaux sous l’impact des crises pandémiques, numériques, climatiques. Qu’en est-il quant aux enjeux de la proximité territoriale ? Deux intervenants traitent de ces enjeux. L’un, Daniele Ietri (séquence 5) a analysé les évolutions sous l’angle de l’urbanisation et des grands territoires en particulier ceux proches des métropoles. L’autre, Benoit Moritz (séquence 6), examine la questions sous l’angle de la densité, et partant de la mixité ou encore de la proximité. Nous proposons ici un extrait de l’intervention de ce dernier.

Séquence 6. « Face à l’urbanisation extensive, quels modèles promouvoir ? La proximité, un nouveau concept pour la densification ? »

L’envie de calme et de nature, la proximité entre les tranches de vie : face à ces aspirations, les métropoles ne sembleraient plus autant attractives. La distanciation sociale aura-t-elle comme conséquence un nouvel épisode d’étalement urbain ? Sommes-nous à l’aube de Shrinking Cities, de villes en déclin ou en rétrécissement volontaire ? Ou bien voit-on dans les choix de localisation d’habitants comme d’activités diverses, émerger une urbanisation davantage polycentrique ? Dans cette optique, comment renforcer le maillage ? Nos gares et nœuds de connexion peuvent-ils structurer l’archipel urbanisé, entre des villes de taille variée, des bourgs ou des hameaux. Dans cette optique, peut-on imaginer des complémentarités qui réconcilient l’humain et le vivant, sans rupture systémique entre ville et campagne ?

Benoit Moritz est architecte et urbaniste. Il a réalisé des études et projets d’urbanisme tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Il est également professeur ordinaire ULB. Ses recherches sont centrées sur les dynamiques de projets urbains dans les villes belges ainsi que sur les jeux d’acteurs qui y sont liés.

Densité, mixité des fonctions. A l’heure de la distanciation sociale, ces principes de l’urbanisme post-fonctionnel sont-ils toujours opérationnels ? L’heure des « grands projets urbains » est-elle révolue ? En particulier le modèle des immeubles de grande taille mais à fonction unique semble remis en cause. De plus en plus de développements immobiliers optent pour la mixité des fonctions, prévoient des usages partagés, s’implantent à proximité de nœuds de communication ou de pôles de service. Peut-on encourager ces pratiques, et comment opérer la mutation du modèle ? Tout en évitant de contribuer à l’étalement des airs urbanisés, dans l’optique du stop-béton. L’heure de la ville à quinze minutes, fortement promue pour l’heure, permet sans doute de promouvoir la densité sous sa facette la plus acceptable.

Le premier confinement du printemps 2020 a conduit de nombreux urbanistes, élus, experts, etc. à chercher au confinement social, et à mettre en œuvre une réponse opérationnelle face au besoin de services publics ou privés, et afin d’éviter ainsi le supposé exode urbain. Le concept de la ville du quart d’heure est à présent adopté par différentes villes, avec Paris en tête à l’occasion des dernières élections municipales. La ville de la proximité est ainsi devenue un concept qui cherche à l’opérationnaliser. Il prend place au moment où la crise climatique, sociale et sociétale met à mal les autres théories qui ont jalonnées ces dernières décennies. On pense notamment à la métropolisation à outrance, le pendant de la mondialisation par laquelle les biens mais aussi les virus circulent avec aisance entre les continents, avec des portes d’entrées dans les territoires largement ouverts aux flux matériels et des personnes.

Ce nouveau concept puise pour autant ses racines dans l’histoire de l’urbanisme. Et de la ville européenne en particulier, souvent ceinturée, densément habitée et donc où une concentration de services trouve naturellement sa place, favorisant un moindre besoin de se déplacer. Les réalisations des cités-jardins vont également dans ce sens, tout autant que les notions de quartier qui ont ressurgi dans les approches territoriales. Plus récemment et notamment, les contrats de quartier bruxellois ou encore les opérations de rénovation urbaine en Wallonie visent à renforcer les avantages de la proximité. Ces approches post-modernes ont notamment été théorisées par Leon Krier (pour le plateau du Kirchberg à Luxembourg par exemple) ainsi que par Richard Rogers (quand il prône la ville polycentrique). Aux Etats-Unis, la notion de communauté (prônée notamment par Andres Douani) vise également à renforcer la concentration des services au cœur des unités de voisinage. Plus récemment, Eric Klinenberg (dans son ouvrage Palace for the people) estime que l’avenir des sociétés démocratiques ne repose pas simplement sur des valeurs partagées, mais sur des espaces partagés : les bibliothèques, les garderies, les églises et les parcs où des connexions cruciales sont formées. En mêlant ses propres recherches à des exemples du monde entier, Klinenberg montre comment « l’infrastructure sociale » aide à résoudre certains de nos défis sociétaux les plus urgents.

Pour autant, il faut prendre en compte la notion des distances multiscalaires : la notion chronologique prédomine celle de la distance physique, conduisant à des rayons multiples selon les modes de déplacements. Le concept de ville du quart d’heure de Carlos Moreno prend en compte ces différentes échelles. Apparait alors la notion de maille apaisée : les circulations étant rejetées hors du cœur des quartiers denses vers les maille plus larges, des ensemble d’habitat offrent des services supplémentaires.

Moritz cite notamment les « superilla » de Barcelone (superblock) au centre desquels les équipements et notamment les halles alimentaires se multiplient, rejoignant ainsi les notions de circuits courts et d’alimentation saine.