« Close to You. How to reconnect people in cities? » Nous poursuivons l’examen des enseignements issus du FORUM 2021 dédié aux liens sociaux sous l’impact des crises pandémiques, numériques, climatiques. Ces présentations s’articulent selon quatre portes d’entrée :

  • la proximité et ses nouveaux acteurs ;
  • le numérique, stimulant ou englobant ;
  • les territoires et les enjeux de la nouvelle proximité ;
  • le « ménagement » des territoires et le bien-être.

Dans les deux premières séquences, nous examinions la nouvelle donne relative à la proximité et ses nouveaux acteurs, avec Isabelle Baraud-Serfaty et Jean-Luc Calonger. A présent, c’est le thème du numérique qui est présenté. On l’a vu tout au long de la première séquence, celui-ci est un facteur de la nouvelle proximité.

Le numérique est-il réellement un support des liens sociaux qui stimule ou englobe ces derniers ? Quels sont les enjeux, en regard de l’intrusion massive des supports de communication ? Quels en sont les potentiels, les dangers, mais aussi les opportunités. Deviendrons-nous demain les avatars de nos réalités physiques et sensorielles ?

Le changement des valeurs tout autant que par la sécurité sanitaire ou la crise climatique bouleverseront-ils l’avenir de nos territoires ? D’un côté, la distanciation sociale impose le recours au numérique : les géants du numérique, les GAFAM notamment, sont en lien avec les grands groupes financiers ; risquent-ils d’abuser de leur position ? Peut-on les obliger à être moins monopolistiques pour préserver les alternatives et garantir un gouvernance plus ouverte ? A l’inverse, peut-on stimuler le partage, développer les « biens communs », qui visent à renforcer la cohésion social et territoriale ?

Deux intervenants ont dialogué sur ces questions. Jean Haëntjens aborde le numérique de manière globale : il en relève les convergences avec divers mouvements de fond qui commencent à affecter les questions de l’aménagement ou le développement du territoire mais aussi les divergences. Quant à Koen Wynants, son approche se centre sur les potentiels du numérique pour les nouveaux acteurs que sont les associations et communautés locales. L’exemple des « Commons Lab » anversois permettra d’ouvrir la porte en ce sens, avec divers exemples très concrets à l’échelle de la proximité d’un quartier.

Jean Haëntjens. Economiste et urbaniste, il est consultant en stratégies urbaines et l’auteur notamment de « Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes » (Rue de l’échiquier, 2018) et « Smart city, ville intelligente, quels modèles pour demain ? » (La documentation française, 2021).

 Smart cities against Smart Citizens ? A partir des années 2010, les géants du numérique ont présenté une offre globale « smart city » qui était supposée résoudre la plupart des problèmes de la vie urbaine. Cette offre a séduit un certain nombre de responsables politiques, notamment en Amérique du Nord. Depuis 2020, l’abandon du projet piloté par Google à Toronto, et le développement de nouvelles pratiques ont rebattu les cartes.  Une nouvelle ère est peut-être en train de s’ouvrir, celle des citoyens agiles.

On observe un nouvel intérêt pour les villes moyennes depuis (aux alentours de) 2015. Déjà quelques années avant, nombre de grands projets sont contestés, et certains sont remisés ou abandonnés. Le modèle de la metropolisation concentrée dans les cœurs des villes est contesté, tant par la densité de certains projets que par les inégalités territoriales que ces projets accentuent. Mais nombre de villes peinent encore à remettre en question ce modèle qui flatte les ambitions hégémoniques. La pandémie a accentué cette dynamique, de nombreux ménages en instance de choix de localisation prêtent attention aux possibilités de trouver un habitat qui réponde à leur attentes, tout en gardant un lien fort aux liens qui sont habituellement offerts dans le métropoles, télétravail, e-enseignement ou e-loisirs, etc.

Le modèle des Smart cities, après avoir connu leur heure de gloire aux débuts de la décennie, perdent de leur allant. Elles ont misé sur une gouvernance assez concentrée entre les mains de grands opérateurs tels Google ou Cisco alliés pour la circonstance avec les autorités des grandes métropoles. Cette alliance est ressentie comme une mainmise sur les données privée mais aussi sur les méthodes du développement territorial et ses acteurs variés. Car cette hégémonie est questionnée par une dynamique qui conteste les Bullshits Jobs et choisit la liberté de faire des nombreux, des indépendants auto-entrepreneurs ou encore des petites sociétés. De même on prend conscience des impacts climatiques de la concertation du traitement des données dans des gigantesque datacenters. Après un grand engouement, les Civic Techs font pitch dans la foulée, l’heure n’est plus à l’abandon entre les mains des techniciens des responsabilités des élus.

Ces mouvements prennent place dans un contexte où les défis majeurs territoires et des villes en particulier sont l’accès au logement. La financiarisation à outrance de l’économie immobilière a conduit à des hausses spectaculaires des prix, tant pour l’achat que pour la location. De même la crise climatique accentue la nécessité de recourir à ce support en vue de maintenir voire développer le lien sociétal.

Pour Haëntjens, la tension est dès lors forte entre mainmise des géants du numérique et potentialités de nouer des relatons épanouissants. Quelles sont alors les pistes d’hybridation entre lien citoyen et recours au numérique ?