« Close to You. How to reconnect people in cities? » Nous poursuivons l’examen des enseignements issus du FORUM 2021 dédié aux liens sociaux sous l’impact des crises pandémiques, numériques, climatiques. La distanciation sociale bouscule en effet les modes de vie usuels de la société. Elle est devenue hélas le marqueur de nos vies. La distance et la méfiance entre individus et au sein de la société dominent nos nouveaux modes de vie. Dans les deux premières séquences, nous examinions la nouvelle donne relative à la proximité et ses nouveaux acteurs, avec Isabelle Baraud-Serfaty (séquence 1) et Jean-Luc Calonger (séquence 2). Ensuite, ce fut le thème du numérique qui est présenté à partir des exposés de Jean Haëntjens (séquence 3) et de Koen Wynants (séquence 4).

Cette fois, les enjeux de la nouvelle proximité territoriale sont à l’examen. Qu’en est-il en temps de crises multiples ? Deux intervenants traitent de ces enjeux. L’un, Daniele Ietri, sous l’angle de l’urbanisation et des grands territoires en particulier ceux proches des métropoles. L’autre, Benoit Moritz, sous de la mixité ou encore de la proximité, et partant l’angle de la densité. Nous proposons ici des extraits de leurs interventions.

Séquence 5. « Crises systémiques : quand rien ne bouge et que tout bouge »

L’envie de calme et de nature, la proximité entre les tranches de vie : face à ces aspirations, les métropoles ne sembleraient plus autant attractives. La distanciation sociale aura-t-elle comme conséquence un nouvel épisode d’étalement urbain ? Sommes-nous à l’aube de Shrinking Cities, de villes en déclin ou en rétrécissement volontaire ? Ou bien voit-on dans les choix de localisation d’habitants comme d’activités diverses, émerger une urbanisation davantage polycentrique ? Dans cette optique, comment renforcer le maillage ? Peut-on imaginer de renforcer les complémentarités qui réconcilient l’humain et le vivant, sans rupture systémique entre ville et campagne ?

Daniele Ietri is a geographer and inhabitant of non-urban areas. He is full professor of Geography at the Free University of Bolzano-Bozen. His research is mainly focused on the study of regional competitiveness and the elaboration of local development policies, with a focus on inner/internal and peripheral areas.

Covid, what ‘else for big and smaller cities and non-urban areas? (English)

Much recent research has been focused on the notion of the ‘global city; but could smaller cities be still competitive? And what is their role, and the role of non-urban areas, in this pandemic context? Frequently, urban people “come down” to the non-urban areas to study them and this contributes to a narrative and to some extent also to the elaboration of policy options. This was particularly evident during the pandemic, due to media representations and policy choices.

Daniele Ietri souligne tout d’abord la nécessité d’examiner ces questions tout autant du point de vue des aires peu ou non urbanisées ; ces dernières sont souvent les oubliés des investigations et des prédictions quant à l’évolution des territoires. Lui-même habite une petite ville dans la lagune entourant Venise. Ses analyses éclairent aujourd’hui les réalités comparées des villes, métropoles ou grandes villes et celles des petites villes ou des hameaux ruraux.

La question que pose Ietri en premier, c’est quelle est la capacité de résilience de ces différents territoires face aux crises. Il analyse de ce point de vue la crise financière de 2007. Au départ des études ESPON ORATE, il relève que les petites villes offrent une capacité de résistance et de rebond supérieure à celle des métropoles ; mais cette capacité est plus forte lorsque ces dernières offrent des connections, réelles ou virtuelles avec les centres du savoir et du monde des affaires. Des aires métropolitaines se dessinent ainsi à travers l’observation du quotidien de ces deux mondes.

Par rapport au COVID, ses observations sont basées sur son regard au quotidien, nourri par ceux des experts notamment géographes. Si les restrictions motivées par les motifs sanitaires ont été semblables, il importe de souligner qu’elles ont été vécues de manière différente. Les petites villes, les hameaux ont continué à offrir ce qui fait leur attractivité, alors que les grandes villes ont été frappées de plein fouet dans leurs fondements : travail, commerce, tourisme, etc. Pour autant, l’activité immobilière est bien réelle dans ces petites villes : serait-ce dû à l’extension de la mainmise financière qui a déjà frappé les grandes villes ? Nourrie par les demandes spéculatives relatives à la résidence secondaire ou à la délocalisation permise par le télétravail ?

Les prédictions de « retour à la campagne » et de déclin des villes ont alimenté la grande presse, nourries par des « visionnaires ». Il analyse les données relatives à la démographie dans les grandes régions italiennes, en comparant les dynamiques des grandes et des petites villes ; il fait de même quant à l’évolution des prix immobiliers. Pour Ietri, il y a une évidente lacune dans les observations : les villes sont auscultées, les aires peu ou non-urbaines ne les sont que très peu. Ce déficit créé des illusions. Il plaide pour renforcer dès lors l’appareil d’observation du terrain.

Daniele Ietri en conclut que « rien ne bouge quand tout bouge » : certes, les territoires ne se façonnent pas en quelques années. Pour autant la crise renforce les liens entre villes et campagnes, rendant les interdépendances plus fortes. Elle renforce également les avantages (compétitifs ?) entre ces deux mondes. La nécessité de renforcer simultanément leurs avantages semble s’imposer. Ainsi, nos gares et nos nœuds de connexion, tout autant que le recours au numérique, peuvent structurer et renforcer l’archipel urbanisé, entre des villes de taille variée, des bourgs ou des hameaux.