CIVA, rue de l’Ermitage à 1050 Bruxelles, jusqu’au 14 aoûts.

Interview du Curateur de l’exposition Yaron Pesztat. LE SOIR 06.07.2022

Le Logis-Floréal : « Cette idée de dissocier la propriété du terrain et l’usage du logement reste intéressante »

Il y a 100 ans, les premières cités-jardins font leur apparition en Belgique. Un siècle plus tard, la question se pose de savoir si leur philosophie de vie collective et coopérative est susceptible d’apporter des solutions à la crise actuelle du logement. Rencontre avec Yaron Pesztat, curateur de l’exposition Le Logis-Floréal, un projet coopératif, qui se tient jusqu’au 14 août, au CIVA

Pour bien définir les cités-jardins, il faut se resituer dans le contexte de l’apparition des cités-jardins en Belgique dans les années 20, tout juste après la Première Guerre mondiale. Le grand défi, c’est la Reconstruction. Certaines villes ont été rasées par les Allemands, notamment Ypres. La population est confrontée à une crise du logement, et notamment du logement populaire.

Les cités-jardins, une solution dans la Reconstruction

L’enjeu est de construire beaucoup de logements, rapidement, et pour pas cher, explique Yaron Pesztat. Et cela va poser un énorme problème. D’une part, les terrains sont devenus très rares et les propriétaires spéculent à la hausse. D’autre part, suite à la guerre, on connaît une pénurie de matériaux, qui sont donc très chers. Enfin, construire selon les méthodes traditionnelles prend un temps considérable.

C’est ainsi que les cités-jardins vont apparaître comme une solution au problème, dans la mesure où il s’agit de construire des lotissements péri-urbains, dans ce qui, à l’époque, est la campagne, où le terrain n’est pas cher. Par ailleurs, on va utiliser les matériaux modernes de l’époque, notamment le béton armé. Au Logis-Floréal, on utilisera plutôt la brique que l’on fait fabriquer sur place, ce qui permet des économies d’échelle. Et surtout, on va standardiser : on va pouvoir construire 2000 logements en standardisant au maximum la production.

C’est la combinaison de ces 3 éléments qui va rendre possible la construction de nombreux logements, rapidement, et à bon marché.

Un village dans la ville

On parle de standardisation, mais en même temps, ce qui frappe dans Le Logis-Floréal, c’est la dimension de village, très arboré, avec des petites venelles. On sent qu’il y a un soin apporté à la dimension sociale et à la vie de la cité. Cet objectif fait partie intégrante du concept, dès le départ.

Le Logis-Floréal, c’est un architecte, Jean-Jules Eggericx, et un urbaniste, Louis Van der Swaelmen. Ils vont s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger. Eggericx passe la Première Guerre mondiale en exil, en Angleterre, et c’est là qu’il va découvrir les cités-jardins anglaises. Van der Swaelmen passe la guerre en exil en Hollande. Il va y participer à un brain-storming européen sur la question de la reconstruction. C’est lui qui va d’ailleurs théoriser les cités-jardins belges, en proposant de les construire en périphérie des villes.

Il y a donc des modèles, notamment anglais, et c’est la raison pour laquelle les maisons ont souvent été comparées, à juste titre, à des cottages.

Le défi : éviter la monotonie

Tous les logements des cités-jardins ont l’air d’être des petites maisons, ou des maisons moyennes, avec le même aspect général. En réalité, sur les 2000 logements à construire, l’architecte Jean-Jules Eggericx va imaginer 82 plans-types, mais avec beaucoup de variété, beaucoup de combinaisons différentes.

D’un point de vue esthétique, on dirait des petits cottages anglais mâtinés du style fermette brabançonne. A l’intérieur, c’est globalement toujours le même plan. Mais on va avoir le souci de donner l’impression aux gens qu’ils habitent une petite maison. Alors qu’en réalité, beaucoup de ces maisons sont des maisons collectives, avec 4, 6 ou 8 appartements. Mais l’aspect extérieur fait toujours villa.

Pour standardiser, on utilise un nombre restreint d’éléments de langage architecturaux. Au Logis-Floréal, on voit bien qu’il n’y a que quelques modèles de portes, de fenêtres, de même dimension, mais assemblées différemment, de volets, de toits tous pareils à double pente, du crêpi sur de la brique, etc…

Mais pour éviter la monotonie, on va introduire une grande diversité via de petites variations, comme la porte une fois à droite, une fois à gauche, ou au milieu. Le paysage est déjà très accidenté, mais l’urbaniste va créer des sinuosités dans le paysage, pour multiplier les points de vue.

La spécificité du Logis-Floréal, qui est du reste la plus grande des cités-jardins de Belgique, c’est son côté pittoresque, charmant, champêtre.

La dimension humaniste du projet

C’est un projet de coopérative, avec une dimension sociale et communautaire et une traduction formelle dans l’espace lui-même, souligne Yaron Pesztat.

A l’origine du projet, il y a, pour le Floréal, les ouvriers typographes du peuple et, pour le Logis, les petits employés de la CGER. Les futurs locataires vont créer une société dont ils vont devenir actionnaires, en achetant des parts. Ce capital est censé ensuite permettre l’achat de terrains et la construction de logements, mais chaque coopérateur sera locataire de son logement, tout en étant copropriétaire de l’ensemble de la cité.

L’idée est de créer un sens communautaire, de vivre dans un espace partagé, commun, dont on est coresponsable parce qu’on en est copropriétaire. On va donc créer de nombreux équipements, dont deux écoles destinées aux enfants de la cité, un complexe sportif avec un chalet des sports. Il y a énormément d’activités communautaires, des fêtes, des processions…

Il ne s’agit pas de logement ouvrier, mais destiné à la catégorie socioprofessionnelle juste au-dessus : des ouvriers typographes et petits employés, qui sont par ailleurs incapables de s’acheter une maison.

Les abords des maisons du Logis-Floréal

La circulation à l’intérieur du Logis-Floréal se passe sur 3 types de voiries : les grandes rues assez larges, qui relient les quartiers entre eux ; les rues plus étroites qui desservent les quartiers eux-mêmes ; les petites venelles, qui sont des voies publiques, mais qui fonctionnent presque comme des voies privées, et qui traversent les îlots. Ce sont des endroits très paisibles, souvent avec une petite place ou un bac à sable pour les enfants.

La végétation et la question du paysage sont traitées de la même façon, avec un petit nombre d’éléments de langage, mais avec une très grande combinaison. Le long des voiries principales, on trouve les fameux cerisiers du Japon. Le long des venelles, on trouvait à l’origine, mais il n’y en a quasiment plus, des peupliers d’Italie. A l’arrière, bordant les jardins, il y a des haies, à l’origine suffisamment basses pour ne pas privatiser les espaces. Et à l’avant, des pelouses bordées par des petits cordons de lierre. Et entre les maisons, on met des tilleuls palissés.

Un projet vite interrompu…

La construction de cités-jardins, qui a eu un grand succès au début des années 20, va s’arrêter très rapidement, dès que les socialistes seront éjectés du gouvernement, vers 1923-1924.

Depuis que la Région bruxelloise a pris la tutelle sur l’ensemble des sociétés de logement social, les anciennes sociétés coopératives et gestionnaires des cités-jardins ont été intégrées dans le Logement social bruxellois, y compris au niveau des règles qui les concernent.

… Mais une réflexion qui reste intéressante aujourd’hui

Cette idée de dissocier la propriété du terrain et l’usage reste intéressante pour tenter de répondre à la crise du logement que l’on connaît dans les grandes villes aujourd’hui, observe Yaron Pesztat. On est à la fois locataire et propriétaire. Le sol appartient à une communauté d’individus, largement financé par les pouvoirs publics, donc on peut dire qu’il reste public. Finalement, ce qu’ont financé les locataires, c’est plutôt la construction.

« Or tout le problème de la cherté du logement dans les grandes villes, c’est la valeur du terrain. Donc si on peut la retirer du coût de construction, on peut produire du logement qui est 30% moins cher que sur le marché. Evidemment, cela se heurte à la culture belge qui veut qu’on soit propriétaire de son logement. »

Un modèle toujours inspirant ?

L’idée de construire des quartiers, avec des équipements et des espaces verts est très séduisante, mais il ne faut pas oublier que cela crée des espaces communautaires très homogènes, fermés sur eux-mêmes, alors que la ville est le lieu de la mixité.

De ce point de vue, la question se pose de savoir si c’est un modèle qui est encore intéressant aujourd’hui.

Le modèle continue en tout cas à inspirer les architectes : un projet très largement inspiré des cités-jardins des années 20 est sur les rails à Bruxelles, sur le terrain les Dames blanches à Woluwe.

Mais la vraie question, selon Yaron Pesztat, c’est en quoi elles peuvent, sur le plan du modèle social et du financement, nous apporter des réponses intéressantes aujourd’hui aux défis du logement en grandes villes, quand on a des moyens modestes.