Recension de l’ouvrage « Louvain-La-Neuve à la croisée des chemins ». Pierre Laconte et Jean Remy. Préface par Alain Bourdin. Ed. Academia-L’harmattan 2020.

Louvain-la-Neuve, créée il y a un demi-siècle, nous offre quelques leçons sur « l’utopie d’une épopée » et la manière dont les aspirations et les valeurs ont guidé le moteur. Insérer une telle ville dans la campagne sans la grignoter, favoriser le piéton et mettre l’auto en sous-sol, mélanger et densifier les fonctions pour augmenter la proximité, voilà quelques éléments connus.

LLN continue à fasciner, même si nos regards s’y sont habitués, et alors même que nos pas découvrent encore certaines faces cachées de cette ville nouvelle si singulière. Parmi ses semblables des pays voisins ou lointains, elle se distingue en effet :  c’est un autre monde qui s’ouvre à nous, basé sur d’inhabituelles références culturelles dans le contexte de l’époque. Elle se distingue aussi par une maitrise d’ouvrage bien différente : c’est dans ce domaine que l’ouvrage livre ses plus riches enseignements. Les acteurs de cette épopée ont su mobiliser des expertises d’avant-garde. Les auteurs de cet ouvrage ont été les acteurs directs de l’épopée, et leur témoignage nous est précieux pour garder la trace de originalités de celle-ci.

D’abord les aspects formels, qui égrènent dans différents chapitres. A l’inverse des villes nouvelles qui ont très largement adopté les préceptes de la modernité voir du fonctionnalisme à tout crin, conduisant aux campus sur le mode nord-américain, la démarche choisie ici renoue avec le culturalisme et la tradition. Nullement pour copier, mais pour retenir le meilleur et le réinterpréter. Ainsi, en matière de densité, de compacité, de mixité et de fertilisation des fonctions, LLN réinvente la ville en prenant appui sur les leçons offertes par la ville européenne multiséculaire. Cet aspect nous est sans doute le plus connu, à travers les rôles de Michel Woitrin, Raymond Lemaire, Pierre Laconte, Jean Remy.

Les auteurs nous rappellent ensuite le processus de conception. Ils montrent de quelle manière City planning et Town design s’articulent, se complètent, se nourrissent : on ne peut décider de la forme (des déhanchements sympathiques des alignements, des formes de l’îlot, des principes de déplacements, etc.) qu’en respectant les principes planificateurs de la croissance de la ville. Deux contributions illustrent cette dynamique par ces deux « miracles » qui ont scandé l’épopée de la cité. D’une part, la liaison ferroviaire vers Bruxelles, Louvain et Ottignies, un cadeau arraché de manière inopinée, et qui formera dès lors l’armature du développement linéaire de la trame urbaine. D’autre part et plus récemment, la création de l’Esplanade à un bout de cette trame, qui évite à LLN le marasme de la concurrence des mégacentres commerciaux. La même rigueur, la même aller-retour entre planification et design ont jalonné ces choix comme une multitude d’autres.

Pour manier avec dextérité ces leviers, LLN a pu bénéficier d’une exceptionnelle maîtrise d’ouvrage. C’est le troisième aspect que je mettrais en avant, et là le témoignage des auteurs-acteurs est très précieux. A la suite du conflit linguistique, l’Université devient seule propriétaire d’un territoires de plus de 900 ha. De manière continue, elle pourra jouer de cette maîtrise pour imposer sa vision et ses conditions, et innover à travers la cession par droit d’emphytéose. Bien davantage qu’une SEM (société d’économie mixte) ou qu’une régie publique, la formule adoptée a permis de mobiliser le foncier de manière particulièrement efficace, de garder la maitrise sur le long terme, d’imposer une certaine mixité sociale ou fonctionnelle.

Cela conduit à aborder ce quatrième apport. L’UCL a mobilisé les savoir-faire ou les expertises présentes en son sein pour inaugurer dans divers domaines, ceux qui constituent d’ailleurs des défis écologiques majeurs d’aujourd’hui. Je pense à la séparation des eaux (conduisant à la création du Lac), aux études des microclimats générés par les diverses formes de la trame urbaine, à la réinvention de l‘emphytéose, à la synergie entre économies des ressources et ville à l’échelle des hommes, etc. Pour la création d’une ville, cette capacité d’innovation est un facteur déterminant d’attractivité et de spécialisation : à l’heure où l’on s’interroge sur la résilience d’une ville, voici une des leçons utiles que nous livre LLN.

Paul Vermeylen